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Interview

Goldman Sachs : «Le baril de pétrole peut monter à 75 dollars»

Goldman Sachs prévoit que le pétrole génère des rendements élevés en 2018. Mais leur source n'est pas à chercher du côté de la hausse des cours. 

Damien Courvalin, stratégiste matières premières et responsable de la recherche sur les marchés de l'énergie chez Goldman Sachs
Damien Courvalin, stratégiste matières premières et responsable de la recherche sur les marchés de l'énergie chez Goldman Sachs (Goldman Sachs)

Par Muryel Jacque

Publié le 14 janv. 2018 à 12:21Mis à jour le 15 janv. 2018 à 08:54

D'où viendront les rendements importants que Goldman Sachs prévoit en 2018 ?

Leur source ne se trouve pas dans le prix du pétrole, à l'inverse des années 2005-2017 où la hausse ou la baisse des cours étaient les principales sources du rendement. En réalité, pour le secteur énergétique, il faut aussi regarder la courbe à terme. Quand on investit dans le pétrole, on n'achète pas un baril physique, on achète un contrat à terme qui, lorsqu'il approche de son expiration, doit être vendu et réinvesti dans un contrat différé. Il y a donc toujours un besoin de « rouler » les positions sur ces marchés « futures » : c'est là que la courbe a un impact majeur sur les rendements.

De quelle manière ?

Aujourd'hui, la courbe à terme du pétrole est baissière [les prix à court terme sont supérieurs aux prix à long terme, c'est la « backwardation », NDLR]. Quand un investisseur vend son contrat, il est au niveau le plus haut sur la courbe, il le réinvestit dans un contrat différé qui est plus faible sur la courbe. En faisant cela chaque mois, il génère des rendements. L'année 2003 est un bon exemple : le cours du Brent n'a augmenté que de 5 % entre le 1er janvier et le 31 décembre. Une position « long » sur le pétrole aurait généré près de 22 % de rendement avec cette opération de report (« carry » en anglais) positive.

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On ne regarde donc plus le pétrole comme on regarde les actions ?

Cela dépend des périodes dans le temps. Dans les années 2000, par exemple, la principale source de rendements était les fluctuations des cours. Dans les années 1990, au contraire, c'était comparable à un investissement de « fixed income » : vous étiez payés avec un rendement à l'instar d'une obligation, et non pas avec l'appréciation des prix. A présent, c'est vraiment la structure des contrats - cette courbe baissière sur les contrats du pétrole - qui génère ce rendement. La courbe est déterminée par les niveaux de stocks et celle-ci est passée de haussière à baissière vers le milieu de 2017, une fois que la baisse de production de l'Opep et la très forte demande ont fait reculer les excédents des stocks mondiaux.

Pourquoi les prix à long terme sont-ils inférieurs aux prix au comptant ?

Avec l'ensemble des changements de production et de technologie auxquels nous avons assisté, nous avons une bonne visibilité sur les sources de production dans les années à venir. Le pétrole de schiste, les capacités disponibles de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et l'offshore dans le reste du monde ont engendré de fortes baisses des coûts. Lorsque nous faisons des projections, nous savons désormais d'où viendra le pétrole dans le futur, bien plus que dans les années 2000. Le prix à long terme devient par conséquent moins volatil. C'est ce qui s'était passé dans les années 1990 : le prix à long terme était ancré à 20 dollars, il ne bougeait pas, même si le prix observable au jour le jour fluctuait énormément. D'autre part, une fois les stocks normalisés, les raffineries sont prêtes à payer un prix supérieur pour garantir l'accès à des barils physiques, entraînant un prix au comptant supérieur au coût marginal établi.

A quel niveau Goldman Sachs situe-t-il le prix du pétrole à long terme ?

D'après nous, le point d'ancrage - qui est déterminé par les coûts marginaux de production - sera de l'ordre de 55 dollars (Brent) sur les deux à trois prochaines années. Cela signifie qu'il suffit d'un tel prix pour que les producteurs investissent et, donc, pour faire face à l'augmentation de la demande mondiale sur cette période. Aujourd'hui, même les gouvernements ont un budget établi, à l'image de la Russie qui table sur un pétrole entre 45 et 50 dollars sur les années qui viennent.

Les prix à court terme, actuellement à 70 dollars pour le Brent, peuvent-ils encore monter ?

Le scénario d'un baril à 75 dollars en 2018 ne peut être exclu brièvement si la demande mondiale de pétrole continue de surprendre à la hausse, par exemple si la croissance économique continue de dépasser des attentes déjà optimistes. Mais nous ne resterons pas à ces niveaux sur une période longue puisque Goldman Sachs argue que le coût marginal est de 55 dollars, et que les producteurs répondront à un signal de prix supérieur.

Que va faire l'Opep ?

Les baisses orchestrées par l'Opep n'ont jamais fait partie d'une stratégie à long terme. Donc, à un moment en 2018, l'Organisation va augmenter sa production. La question est : à quel moment ? L'Opep a clairement indiqué qu'elle le ferait graduellement, une fois les stocks mondiaux normalisés. De nombreuses données suggèrent que nous y sommes : l'excédent de stocks a disparu ou presque. L'Opep devrait donc agir rapidement, mais elle a tendance à se montrer moins optimiste sur la normalisation de cet excédent et elle pourrait réagir avec un retard, ce qui exacerberait la « backwardation » - et donc les sources de rendements - du pétrole.

2019 pourrait donc être bien différente ?

La vue sur 2019 est effectivement moins constructive puisqu'à terme l'Opep augmentera sa production, et que les autres producteurs auront répondu à des prix plus élevés en 2018. Au final, l'an prochain, il y aura davantage de pétrole produit que ce qu'on prévoyait il y a trois mois. Les prix sont biaisés à la baisse en 2019.

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Les Etats-Unis vont-ils devenir le premier producteur mondial ?

Ils le sont déjà en termes de liquide total, si l'on inclut l'éthanol, le gaz liquéfié. Ensuite, la course pour devenir le premier producteur se fera entre trois pays : l'Arabie saoudite, les Etats-Unis et la Russie. La Russie et l'Arabie saoudite sont des producteurs à bas coûts qui augmenteront à nouveau fortement leur production dans les années à venir, lorsque l'Opep aura décidé de stopper ses baisses. Sur le court terme, les Américains peuvent certes les dépasser, car leurs capacités sont en nette hausse, mais sur le long terme, ces trois pays continueront tous d'investir pour augmenter leur production.

L'« IPO » de Saudi Aramco peut-elle influencer le marché ?

Sur le court terme, on peut voir une tentative de l'Opep d'essayer de soutenir les cours au moins au-dessus de 60 dollars pour aider à valoriser leurs émissions de dettes et d'actions. Sur le moyen terme, en revanche, les sources disponibles de production d'autres pays les pousseront à augmenter leur production pour ne pas perdre de parts de marché et donc de revenus. D'ailleurs, une prévision de croissance de leur production et de la stabilité des cours futurs du pétrole sera également importante pour attirer des investisseurs sur le long terme. Si un investisseur a peur que les prix soient très volatils, il est nettement plus difficile pour lui d'attribuer du capital à des obligations émises par des pays producteurs ou à des actions de leurs compagnies pétrolières. C'est donc la combinaison de la normalisation de l'excédent de stocks et d'aide à normaliser les attentes de prix à moyen terme qui aura un impact bénéfique sur ces pays producteurs à bas coût.

Muryel Jacque

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